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Haïti dans le monde

Mai 2012 > La Leçon de cinéma de Raoul Peck par Olivier Barlet

Raoul Peck est en ce mois de mai 2012 à l'honneur : il fait partie du jury qui décerne la palme d'or au festival de Cannes. Nous publions ci-dessous la leçon de cinéma qu'il avait donnée durant le Festival des films d'Afrique en pays d'Apt. Il y expose avec précision son parcours et sa méthode, en dialogue avec Olivier Barlet.



Comme nous en avons l'habitude à Apt, cette leçon de cinéma ne sera pas seulement une biographie mais aussi et surtout un échange sur la méthode de cinéma qui traverse vos films. Un grand merci à vous de bien vouloir vous plier à l'exercice ! Mais pour vous situer, il nous faut débuter par quelques éléments biographiques. Vous êtes né à Port-au-Prince en 1953 : nous avons le même âge mais je dois dire que je m'incline bien bas quand je vois la somme de vos réalisations ! Donc, vos parents vont échapper à la dictature haïtienne pour venir au Congo…


Effectivement, mon père a été arrêté à deux reprises. C'était durant la montée de la dictature de François Duvalier en Haïti, et il s'est rendu compte qu'il n'en réchapperait peut-être pas une troisième fois. Comme beaucoup de cadres qui ont, comme lui, quitté Haïti pour les États-Unis, le Canada et l'Afrique, il a donc décidé de partir. Beaucoup d'Haïtiens se sont donc retrouvés au Congo et ont été les premiers conseillers, constructeurs, enseignants, médecins de la nouvelle administration congolaise.


Donc votre père a travaillé au ministère de l'Agriculture, et votre mère était secrétaire du bourgmestre de Léopoldville. Moi, j'ai un souvenir de cinéma qui m'a absolument marqué, c'est "Ma mère raconte…", dans votre documentaire Lumumba, la mort d'un prophète, qui malheureusement ne tourne plus assez, car il reste complètement actuel et magnifique. Il y a là un événement de cinéma, dans cette façon de rapprocher l'Histoire et l'intime, de les mettre en perspective. Mais vous ne restez pas toujours sur place. Le Congo étant très instable, vous partez étudier ailleurs, des études d'ingénieur, si je ne m'abuse…


Tout d'abord j'ai effectué mes études secondaires en France. Puis je suis parti en Allemagne faire des études d'ingénieur économiste.


En Allemagne, ce sera un petit peu comme dans le Teza d'Haile Gerima : une effervescence de rencontres, des gens qui viennent du monde entier, la possibilité véritablement de découvrir beaucoup de choses ?


En effet, une époque qui m'a permis - je n'avais que 18, 19 ans - de découvrir, de pratiquer, de créer des amitiés qui durent encore aujourd'hui. Berlin, à l'époque, était un centre du monde puisqu'il y avait des exilés du monde entier, des brésiliens, turcs, iraniens, etc. Il y avait le monde en ébullition des grands conflits du moment et des guerres de libération, des Palestiniens, des Sud-Africains, des Namibiens, des Angolais, des Nicaraguéens, tous avec leurs antennes d'organisation. Donc il y avait encore une réelle solidarité internationale de résistance. Mais pour le monde dominant également, Berlin étant un lieu incontournable. Tous les grands chefs d'État, américain, français, britannique, etc. se devaient de passer par Berlin. C'était un lieu en agitation permanente, un lieu de militantisme et j'ai vraiment profité de tout cela. Cela m'a formé, m'a permis de comprendre les absurdités, les contradictions du monde et m'a aussi ouvert à la complexité de ce même monde. J'ai pu aussi étudier, parallèlement à mes études, Marx, Gramsci, les auteurs latino-américains, Fanon, Machel, les philosophes de Francfort, la théologie de la libération, les syndicalistes progressistes italiens comme Bruno Trentin, Althuser, tout cela dans un grand bain culturel.


Ce vécu de migration entre Haïti, le Congo, la France, l'Allemagne, cette effervescence politique de l'époque, cette expérience du contact avec des gens qui voulaient changer le monde, tout cela va ensuite marquer votre cinématographie ?


Oui. J'ai eu la chance de pouvoir faire ce métier, même si je n'avais pas, au départ, une envie particulière de faire du cinéma. Pour moi, le cinéma était d'abord un contenu, un instrument pour faire autre chose, jamais un but en soi. Cela m'a procuré une grande liberté et la faculté de pouvoir refuser, dire non à ce qui aurait pu être des choix séduisants et faciles dans un métier pas très connu pour être un repère de gauchistes. J'ai pu ainsi choisir ma propre voie, gérer les contraintes financières, politiques, culturelles, esthétiques, sans me perdre moi, ni mes orientations profondes. Le cinéma reste une industrie, un lieu de pouvoir, un lieu d'ambition démesurée. Se libérer très tôt des craintes et contraintes matérielles ainsi que de la peur d'être éjecté du système vous délivre du chantage permanent.


Vous faites du journalisme, de la photographie et finalement vous suivez une formation de cinéma à l'Académie du film et de la télévision de Berlin.


Vous venez de résumer en une phrase des années de torture et de doute ! Si je vais en Allemagne, c'est pour être ingénieur, économiste, avoir comme le pensait mon père, une formation crédible, solide, qui me permette de "subvenir aux besoins d'une famille" ! Heureusement, j'ai eu la chance de pouvoir faire d'autres rencontres. Mon père était je pense, un cinéaste manqué, il faisait de la photo, s'était acheté une caméra Super-8 et filmait la famille, les voyages et tout ce qui bouge. J'ai donc eu le privilège de grandir avec les images mais je l'ai toujours considéré comme un loisir. L'idée d'un métier ne m'a jamais effleuré. D'abord ce n'était pas défendable. En Haïti, comme dans beaucoup de pays, être artiste, c'est assez peu recommandable, c'est le dernier recours, lorsqu'on a raté sa vie (sourire) ! Donc, c'est inconcevable de dire à ses parents : "je veux faire du cinéma" ou "je voudrais faire de la photo". Une vaste blague. Ce n'est que plus tard, après avoir terminé mes études d'ingénieur - économiste, et commencé un doctorat, que ces activités "artistiques" parallèles ont pris de plus en plus de place, jusqu'au moment où elles ont croisé le politique et le contenu de ce que je faisais. Et la question s'est posée, que vais-je faire de ma vie ? Intégrer une grande entreprise, y gagner de l'argent, veiller aux investissements de cette compagnie ou bien me créer une autre vie ? Et en arrière-fond, il y a Haïti, qui est le lieu du retour. C'est peut-être ce qui m'a sauvé. Je ne suis pas venu en Europe en pensant que j'allais y rester. Je savais que j'allais me former autant que possible puis retourner en Haïti, de manière clandestine s'il le fallait - on ne savait pas à l'époque combien de temps la dictature allait durer -. Il y avait des réseaux politiques en exil bien organisés, qui préparaient ce retour-là. J'ai toujours grandi et vécu avec cette option comme étant la destinée principale. Quand le cinéma m'est apparu comme un instrument utilisable dans cette bataille, j'ai petit à petit pris la décision de m'y consacrer. Mais je ne pouvais le faire qu'après avoir prouvé à mon entourage (et à mes parents) que je pouvais avoir un diplôme et ne pas être un "raté". Donc j'ai passé le concours d'entrée à l'Académie de cinéma de Berlin et j'ai été reçu.


Et vous réaliserez votre premier long-métrage, Haitian Corner, durant ces études.


Oui, j'avais commencé à écrire Haitian Corner avant même de commencer à l'Académie. Après les deux premières années, j'ai trouvé de l'argent à la ZDF (deuxième chaîne de la télévision allemande) pour faire mon premier film. J'ai alors interrompu mes études pour aller tourner ce film à New York, dans la communauté haïtienne de Brooklyn. Une fois le film terminé, je suis revenu à l'école pour terminer mon diplôme.


C'était une manière de parler d'Haïti sans pouvoir y aller…


Oui, on était encore en période de dictature, donc le lieu d'émigration importante le plus proche d'Haïti était New York.

Vient ensuite, en se limitant aux grandes dates, le documentaire de long-métrage Lumumba, la mort d'un prophète en 1991, réflexion très personnelle, de mémoire et d'Histoire.

Lumumba, la mort d'un prophète fut pour moi un film fondateur, même si je ne m'en rendais pas encore compte en le faisant. Ce film s'est construit en le faisant : je l'ai conçu en pensant écrire un film de fiction sur l'assassinat de Patrice Lumumba, film que je ne réaliserai que dix ans plus tard. Une note d'intention consiste à exposer ce qui vous attache - de manière intuitive, émotive, au sujet - pourquoi vous choisissez de le traiter. J'ai donc pensé à raconter une partie de mon histoire du Congo, l'histoire de mes parents. Plus j'écrivais, plus je me rendais compte qu'un autre sujet apparaissait, et que cette autre histoire méritait d'être racontée - avant. Non pas tant que je voulais parler de moi, mais parce qu'à travers l'histoire de ma famille, je pouvais m'approcher différemment et plus efficacement de la grande Histoire du Congo et du monde. Le Congo étant l'exemple parfait de tout ce qui s'est passé dans les autres pays du Tiers-monde, et en Afrique en particulier. En réorientant le projet vers ce film documentaire, les grandes préoccupations de mon engagement et de ma vie présente prenaient leur place : à travers les photos et les films de famille, tant au Congo qu'en Haïti, l'histoire familiale devenait l'Histoire collective. J'ai peu à peu compris la responsabilité du cinéaste, le privilège qu'il a de pouvoir s'exprimer et la responsabilité qu'il a de se mesurer au reste du monde, et non uniquement à son propre village. Dans mon cas personnel, je me retrouve confronté avec le cinéma de mes aînés, avec l'ambition, naïve peut-être, de s'y mesurer. Sauf que je découvre vite que mon héritage filmique est fondamentalement pauvre. L'héritage de nos mémoires est très peu transmis. Je débarquais dans un champ inhabité, sans grands documentaristes africains. De grands exemples latino-américains comme le Cubain Santiago Alvarez, les Argentins Solanas et Getino (L'Heure des brasiers), le Bolivien Jorge Sanjinès et quelques autres. Il y avait très peu d'œuvres qui se rapprochaient de ce que j'avais en tête.

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Mardi 22 Mai 2012
Admin C2I
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