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En Haïti

"Les immortelles : des décombres à la lumière", regard sur le premier roman de Makenzy Orcel par Ayelevi Novivor





Une ville sans putes est une ville morte (p.81) Le 12 janvier 2010, le tremblement de terre qui a dévasté plusieurs villes en Haïti dont Port-au-Prince a fait des centaines de milliers de morts parmi lesquels les prostituées du quartier Grand-Rue.

Lumière sur les putains du quartier Grand-Rue à Port-au-Prince conformément à cet axiome : une ville sans prostituée s’apparente à une ville en déperdition, nécrosée. Le nid de la géhenne. Pour certains, le plus vieux métier du monde, pour d’autres, des femmes aux petites mœurs. Sans doute, leur fonction de régulateur social, canalise-t-elle les pulsions sexuelles et jugule bien des dépravations. Combien de crimes commis sans la possibilité de monnayer une passe ? Combien de viols, d’incestes? De frustrations anarchiques ou chaotiques ? L’écrivain Makenzy Orcel rend hommage aux prostituées décédées lors du séisme du 12 janvier 2010 dans ce roman et les rehausse au rang d’êtres sociables à travers une écriture percutante, laquelle sous-tend cette entreprise gratifiante de surcroît, à contre-courant des discours et témoignages émis depuis la catastrophe. Un style lapidaire à la narration intercalée entre le récit de la mère adoptive de Shakira, l’héroïne sous les décombres, et celui de sa mère biologique à la recherche de sa fille, depuis qu’elle s’est enfuie du foyer familial douze ans auparavant, après que son mari manipulateur l’a quittée au terme d’humiliations répétées. Deux mères pour une enfant prostituée, piégée par les éboulis.

Les pages de ce roman peu noircies d’encre invitent à une lecture précautionneuse. À l’instar d’un recueil de poésie, chaque page contient en elle, une forte tension émotionnelle qui suspend le temps et laisse le lecteur s’imprégner de mots et d’associations d’images. Sous un abord déconstruit à travers une narratrice mal assurée et novice, ce texte est en réalité d’une grande cohérence et profondeur quant à ce qui désigne La chose, mimant de cette manière, la dénomination volontairement elliptique que portent communément événements surnaturels ou créatures étranges dans l’univers fantastique (ex. Ça de l’auteur américain Stephen King). À la différence qu’il s’agit là d’une représentation du réel d’un drame collectif et non du genre de l’épouvante ou du réalisme merveilleux au service de croyances religieuses et d’ésotérisme ; la mise à distance du tremblement de terre signifiant le refus de la mort, de capituler devant le cataclysme. Par contraste avec le terme scientifique ou usuel référent au séisme, lequel creuse l’écart avec le sujet témoin et victime, le terme la chose dans le roman ou encore goudou goudou employé par la population, relève de l’affect, du rapport charnel à un événement inédit, incoercible, de la sensation du parachèvement de l’éternité : le connu devient méconnu, le solide, mouvant. Sans omettre les âmes fragmentées. Tellement nombreuses qu’Orcel réussit ceci de dire le séisme à travers une population oubliée trop souvent sans voix, sans histoire croît-on, et ce, l’espace d’un cillement pour reprendre le titre de l’écrivain haïtien feu Jacques Stephen Alexis cité dans le roman.

La catastrophe a tout ébranlé sur son passage, y compris le protagoniste effacé, un écrivain aviné et ami assidu des bordels à qui, une prostituée, en l’occurrence la mère adoptive de Shakira, lui propose un échange de bons procédés : du sexe en contrepartie de la transcription de son histoire puisqu’il se dit écrivain. Le jeune homme acquiesce devant cette offre alléchante pour retracer le parcours de Shakira, prostituée recherchée par sa mère biologique, et coincée douze jours durant sous les décombres. Il est d’emblée confronté à un récit décousu au premier abord, puis composé de fils recyclés au gré des souvenirs de la prostituée. Le parallélisme entre les récits des deux mères, entrecoupés du monologue intérieur de Shakira – intérieur, car ayant rendu son dernier souffle sous les piles de gravats – témoigne de l’amour douloureux qu’elles lui vouent. L’omniprésence du nombre douze enveloppe d’une densité symbolique tout ce qui l’entoure (date du séisme, années d’absence, jours d’agonie). Cette réduction de milliers de victimes aux destins individuels rend le drame intelligible à l’entendement humain de sorte que l’empathie opère. Telle une relation gémellaire asphyxiante, l’immanence de la mort est inexpugnable de l’amour dans Les immortelles.

Avec ce premier roman, Makenzy Orcel impressionne par sa dextérité, sa poésie. Une nouvelle fois, on peut saluer pour sa qualité littéraire, cet auteur qui fait partie d’une génération de jeunes écrivains haïtiens dont le talent irrigue profondément la littérature caribéenne et mondiale. En dépit d’un taux d’analphabétisme élevé, la terre d’Haïti continue de produire une concentration abondante d’écrivains hors pairs.

 Makenzy Orcel, Les Immortelles, Montréal, Mémoire d’encrier, 2010, 144p.

Mardi 8 Mars 2011
Ayelevi Novivor
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