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En Haïti

Le temps n’est plus aux larmes par Richard Sénécal




Cette semaine des milliers d’Haïtiens se sont unis dans la méditation et la prière pour réfléchir aux conséquences du séisme dévastateur du 12 janvier. Il est certain qu’historiquement on devra désormais parler de l’avant et de l’après séisme. La magnitude et l’étendue des dévastations sont sans conteste incalculables. Malgré l’effort important des citoyens juste après la catastrophe, de la communauté internationale ensuite, il reste un mois après, des dizaines de milliers de sans-abris, des infrastructures détruites, une situation sanitaire précaire, une économie en lambeaux, le deuil et le désespoir. 

Les élites politiques et sociales déjà dépassées et incompétentes face aux problèmes de l’avant 12 janvier sont aujourd’hui encore plus démunies dans cette tragédie. Au delà de la douleur et des larmes humainement légitimes, le pays attend surtout des actions et des réponses rapides aux multiples problèmes des urgences à gérer et de la reconstruction. Plutôt que de raconter une cent millième histoire de tremblement de terre, ce papier tente d’amorcer la réflexion autour des vrais problèmes de l’heure. Sans prétendre apporter de solution définitive, il explore des pistes, propose des directions.



La question du pouvoir




Il est certain que ce dont on aurait le moins besoin en ce moment c’est d’une crise politique. Mais il est aussi vrai que toute démarche de gestion des urgences, d’organisation de l’aide et de la reconstruction passe par le pouvoir politique. Je ne m’étendrai pas sur les lacunes ou incompétences individuelles ; ce n’est guère le moment de faire le procès de qui que ce soit. Disons-le sans hypocrisie, par-delà les hommes qui l’ont constitué, c’est le système lui-même qui a échoué. Cet échec ne date d’ailleurs pas du 12 janvier. Il est impensable qu’un système, une équipe ou des hommes qui ont été incapables de gérer la précarité de ces dernières années puissent se révéler subitement à la hauteur des défis d’aujourd’hui. Il est clair qu’avec cette présence internationale massive à la fois militaire et financière, l’état haitien fait aujourd’hui figure de marionette ridicule et sans consistance, juste là pour la bienséance et les apparences. Je crois qu’il faut aller au-delà du théâtral et voir enfin la vérité en face. Ces apparences que l’on veut sauver pour nous ne nous sont guère utiles ou nécessaires dans l’instant. Ce système pourri et improductif depuis 200 ans qu’on veut nous rapiécer, n’est-il pas venu l’opportunité de s’en débarrasser ? Déjà j’entends parler de la prolongation du mandat des uns et des autres. Je ne crois pas que ce soit dans le pur intérêt national. Puisqu’il faudra encore une fois violer la constitution pourquoi ne pas poser le problème de la refondation ? Le moment inspire la compétence, l’action, l’intégrité. Il n’est plus le temps de la politique creuse et verbeuse, du pouvoir pour le pouvoir, sans vision ni programme. Le moment demande abnégation, patience et leadership. Le changement s’impose, non pas par pur cosmétisme mais parce que, plus que d’argent et de dons, cette population a besoin d’être mobilisée autour d’un projet national et qu’elle ne saura l’être que par des voix neuves et crédibles.



La question des urgences




L’urgence des urgences peut se résumer en une phrase. Il y a près de 2 millions d’Haïtiens dans la rue, dans une précarité sanitaire et sécuritaire. On aurait dû déjà les en sortir. Il est certain qu’en ce sens l’effort national et international s’est révélé jusqu’ici infructueux. Je ne crois pas que tous ces chiffres annoncés dans les médias, tous ces millions égrenés auront un sens tant qu’il restera un seul Haitien dans la rue. La saison des pluies arrive, et puis les ouragans... L’actualité du séisme glisse doucement des grands titres. L’Américain ou l’Européen moyen vont bientôt pouvoir dîner en paix sans être incommodés par l’image de nos souffrances. Et pour nous une somalisation muette... Avec ou sans tentes il faudra bien s’en sortir. La solution des tentes ne me semblait pas d’ailleurs très capable de résister à un ouragan force 3. Alors quoi ?



A tout problème complexe, solution complexe et sûrement pas unique. Leadership et créativité s’imposent. Là encore il faut voir les choses en face. On devra déplacer de grands pans de population quelles que soient les solutions adoptées. Les gens se sont en effet agglutinés dans des lieux inadéquats, de préférence à proximité de leurs anciennes résidences. Il faut souligner la proportion massive d’habitats endommagés mais non détruits qui ne servent plus que d’entrepôts pour les biens de leurs propriétaires ou locataires. Les gens ne se déplaceront que s’ils ont la garantie que ces biens sont en sécurité. Les solutions peuvent prendre la forme d’abris-dortoirs en structures légères sur des sites minutieusement choisis. Bien conçus et en utilisant à la fois les énormes moyens de l’international et la force de travail disponible dans la ville, ils pourraient être construits dans un temps record avec des matériaux plus faciles à trouver que des tentes. Pour les biens, des conteneurs déposés sur des sites sécurisés. Et puis s’est-on aussi posé la question de savoir combien de gens en province peuvent encore accueillir des réfugiés ? Leur a-t-on seulement demandé ? Une subvention à ceux qui le feraient pourrait convaincre bien des indécis.



La reconstruction




Un mot qui donne le vertige à plus d’un par la quantité de milliards qu’il fait miroiter. Mais bon si c’est pour refaire ce qui à l’évidence n’a pas fonctionné, à quoi bon ? Il faut rebâtir une capitale certes, ici ou ailleurs. Rebâtir Port-au-Prince sûrement, ne serait-ce que pour le patrimoine. Mais reconstruire une mégapole de 2 millions d’habitants à proximité d’une faille sismique majeure serait de la pure inconscience. Alors oui, quelques milliards pour Port-au-Prince mais le gros des milliards pour la province et la décentralisation. Et le plus gros travail ce ne sera pas de décentraliser l’Etat et l’économie, l’éducation, la sécurité, la justice et la santé. Ce sera surtout de décentraliser nos mentalité, d’apprendre à penser autrement qu’en moun anba et moun anwo, moun andeyò et moun lavil. Au final bien du pain sur la planche. Pour les urbanistes, ingénieurs, architectes, éducateurs, médecins... d’ici et d’ailleurs. Car il faut bien l’admettre, même avec l’apport de la diaspora, le pays n’aura pas assez de cadres pour cette refondation. Je me souviens de ces cadres haïtiens envoyés dans l’Afrique des années soixante pour accompagner ces Etats fraîchement indépendants et qui y ont laissé le meilleur d’eux-mêmes. Alors “back to Africa ?” ou “back to Haïti ?”. Je me souviens de Bolivar et Miranda recevant des armes et munitions à Jacmel. Je me souviens de Savannah, de notre contribution à la liberté. Que de dettes non payées... Voilà bien le programme d’une génération. Non pas une chance qui passe mais la seule, l’ultime. Une chance qui sera minée si l’on n’y prend garde par notre mal endémique, cette corruption qui nous est si chère et à laquelle s’embrigadent volontiers nos amis étrangers. Alors attention ! Ce sera un pays pour tous ou alors l’enfer pour la majorité et l’exil doré pour certains. Mais on a déjà vu ça quelque part, non ?



Richard Sénécal 14 février 2010


Richard Sénécal est réalisateur et producteur. Il vit en Haïti.


Dimanche 14 Février 2010
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